Loin des thèmes classiques du fado traditionnel, le groupe « Fado Reguila » chante pour les enfants le chant de Lisbonne.
Un dimanche matin à l’aquarium, une vingtaine d’enfants attendent, les fesses sur des peluches et le nez levé vers les raies manta qui défilent nonchalamment derrière la vitre. Soudain, les guitaristes annoncent l’arrivée de la chanteuse, les petits nez se détachent des poissons et se tournent vers la dame en châle jaune à la rose dans les cheveux qui leur sourit. Restés en arrière, les papas observent amusés leurs compagnes accroupies tenant leurs bébés. Le contact s’établit, et rapidement, du haut de ses quarante centimètres et ses deux ans, un petit aventurier n’hésite pas à se lever pour aller écouter la guitare de plus près.
Cela fait trois ans qu’Ana Cruz-Henrique, psychothérapeute de jour et chanteuse de fado la nuit, porte son costume de « Rosa Fadista ». Trois ans qu’à chaque spectacle, elle se perd dans les rues de Lisbonne, et retrouve son chemin grâce aux chansons qu’elle interprète, en compagnie de « Vi » – Miguel Alvarez, joueur de « viola », la guitare sèche -, et « Gui » – Joao Carrôlo à la guitare portugaise. Tout au long du voyage de quarante-cinq minutes, chaque quartier, chaque « barro », a ses personnages. A chaque « barro » son style de fado.
Des contes pour enfants dans un esprit fado
La première chose que le groupe enseigne à son jeune auditoire, « Le fado, ce n’est que des contes pour adultes » explique Ana. Seulement, les poèmes chantés dans le fado parlent de passion, d’amour, de jalousie, d’exil, de la nostalgie de son pays et du passé. Autant de thèmes inaccessibles pour son public, les enfants de moins de six ans, qui ont « déjà beaucoup trop d’émotions à digérer ». Enlever le poids dramatique du fado traditionnel est nécessaire, mais sans
pour autant perdre son authenticité : » les poèmes sont forcément différents, mais nous gardons toutes les caractéristiques du fado, ses cadences musicales, ses mélodies, ses rythmes, son émotion. »
La formation musicale est traditionnelle, – une guitare portugaise, une guitare et une voix -, les mélodies également, et la tenue de Rosa reprend les codes vestimentaires du fado sans leur couleur noire : des grandes boucles d’oreilles, une longue robe, et un châle. Seuls les textes diffèrent. Avec leurs mots, Fado Reguila adapte même la saudade : » la saudade, c’est lorsque quelque chose ou quelqu’un nous manque » tente de traduire Ana, qui reconnaît toute la subtilité de ce terme portugais, « un sentiment de mélancolie parfois heureuse que les enfants peuvent comprendre. » Et par exemple, la saudade, elle la transmet aux petits en leur faisant rencontrer un chat endormi dans les rues d’Alfama, qui a sauté de toits en toits, et qui a perdu son compagnon.
Une question d’adaptation
Rien n’est anodin dans le spectacle écrit par Fado Reguila, « nous savions avant d’écrire le spectacle ce que les enfants allaient comprendre ou pas, notre expérience de psychothérapeutes et musicothérapeutes nous a aidé à écrire ces chansons ». L’interaction avec le public n’en est que plus naturelle, comme lorsqu’un bébé prend peur : « je vais vers lui, j’attire son attention, et il est très surpris, « Waou, la dame chante juste pour moi! »" raconte Ana.
« Les bébés n’ont pas de compétence verbale, mais ils distinguent les émotions, bonnes et mauvaises, que nous pouvons transmettre avec la musique ». Alors Fado Reguila joue avec les intonations de la voix, en alternant celle d’Ana et celle des hommes, qui ponctuent son chant d’onomatopées ou de petites mélodies.
Tout est également une question d’adaptation, rappelle Ana. « Pour les bébés, nous faisons particulièrement attention aux expressions faciales, aux sons, rythmes. Pour les plus grands, nous utilisons plus les dialogues ». En interprétant son fado, elle le ponctue de
références que seuls les adultes comprennent, comme le chant « des vendeurs à la sauvette qui marchaient dans les rues avec leurs paniers de poisson sur l’épaule ».
« Tous les portugais ont un fadista en eux »
« Tout les portugais écoutent du fado, même s’il ne veulent pas en écouter » plaisante Ana, « et tous les portugais ont un fadista en eux ». Même si sa grand-mère et sa mère chantonnaient parfois à la maison, Ana n’a pas construit dès son enfance une
relation particulière avec ce qui est devenu sa passion. Et si la fadista en elle a grandit, elle aimerait que le travail de Fado Reguila arrive à faire naître chez ses petits auditeurs un intérêt pour ce monument de la culture portugaise.
« Ce n’est pas très courant que les enfants écoutent et chantent le fado », rappelle-elle, « à moins que vous ne viviez dans un vieux barro, et que vos grands-parents vous emmènent dans une maison du fado ». Et lorsqu’ils deviennent adolescents, la majorité d’entre eux pense que le fado est quelque chose de vieux, d’ennuyeux, beaucoup trop dramatique. « Nous voulons changer cette idée du fado ».
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chère au fado, pas sûr que les petits ne comprennent toute la démarche de Fado Reguila. Mais à voir leurs mines ravies, espérons que tous ces poèmes ne seront pas des paroles en l’air.
Camille REGACHE